C'est quoi la garrigue ?
Les garrigues, c’est sec et ça pique... et pourtant leur découverte révèle de nombreuses surprises : une faune et une flore diversifiées et originales, une histoire ancienne fortement liée aux origines des activités de l’homme, des dynamiques actuelles au coeur des enjeux de protection de notre patrimoine et de nos paysages..

La garrigue, un milieu naturel typiquement méditerranéen


Le terme de garrigue désigne pour les botanistes une formation végétale xérophile (c’est-à-dire adaptée à la sécheresse) basse sur sol calcaire. Il existe des milieux semblables dans toutes les régions soumises au climat méditerranéen : les Matorrals en Espagne, la Phrygane en Grèce, la Bartha en Israël, le Chaparral en Californie, le Fynbos dans la région du Cap (Afrique du Sud), le Matorral au Chili, le Kwongwan au sud-ouest de l’Australie. En France, on parle de garrigue sur les roches calcaires et de maquis sur les sols acides. Cette différence entre garrigue et maquis, aujourd’hui largement acceptée, est issue de « l’école » agronomique de Montpellier qui s’opposait à la vision défendue par « l’école » de Toulouse pour laquelle le maquis était un stade arbustif plus haut et plus dense que la garrigue quel que soit le substrat. Le botaniste Charles Sauvage en accord avec un homologue espagnol Ruiz de la Torre, propose en 1966 que le terme espagnol matorral soit utilisé en langue française pour désigner de façon générique l’ensemble de ce type de formations végétales. Tous ces milieux ont pour caractéristiques communes une multitude d’adaptations des végétaux aux contraintes liées à la sécheresse et à la pauvreté du sol. On y trouve quasiment partout une végétation sempervirente (feuillage persistant), des feuilles coriaces, de nombreux ligneux bas, des plantes à bulbes, des plantes aromatiques... On y observe également de nombreuses adaptations à la présence importante d’herbivores (résistance au broutage ou utilisation des animaux pour la dispersion des graines). Une autre constante est la forte biodiversité de ces milieux. On y observe partout une richesse et une originalité importantes de la flore et de la faune. Ces milieux secs emblématiques des paysages méditerranéens ont grandement participé, par la diversité de leur patrimoine naturel mais aussi par leur fragilité, au classement de la zone méditerranéenne comme un des 34 «hot spot» de la biodiversité mondiale.

La garrigue, une étape dans la dynamique de végétation


Au cours du temps, les écosystèmes évoluent passant par étapes d’un stade « jeune » vers un stade « mature » appelé en écologie le climax. Cette dynamique de la végétation s’observe par la succession progressive de différentes formations végétales. En milieu méditerranéen sec, un des premiers stades est la pelouse sèche constituée essentiellement de graminées et autres herbacées.
Puis, peu à peu, apparaissent des espèces ligneuses et arbustives formant des milieux de garrigue. Ensuite, ce sont les arbres qui vont se développer aboutissant au final à des formations forestières. Les botanistes parlent de milieux ouverts quand la couverture végétale est basse et clairsemée, constituée essentiellement d’herbacées et de petits arbustes comme dans les pelouses et les garrigues. Mais lorsque le milieu est majoritairement constitué d’arbres et d’arbustes de grande taille, on parle alors de milieux fermés.
Cette dynamique de la végétation peut repartir de zéro lorsque d’importantes perturbations (incendies, événements météorologiques exceptionnels, actions humaines de défrichement ou de coupes forestières) ramènent l’écosystème d’un stade mature vers un stade jeune. La garrigue est donc une des étapes de la dynamique de végétation des milieux méditerranéens secs sur terrains calcaires. Elle ne peut se maintenir à long terme sur un même espace que si cette dynamique est bloquée. Des incendies répétés, des conditions locales de sol ou de microclimat particulièrement contraignantes, une pression de pâturage ou un piétinement régulier peuvent, par exemple, maintenir une garrigue pendant plusieurs années ou décennies, voire plusieurs siècles.
Mais dès que les conditions de blocage disparaissent (par exemple arrêt du pâturage ou de la répétition de feux d’écobuage), la dynamique reprend. Les arbustes vont se développer puis différentes espèces d’arbres (pins, puis Chênes verts et enfin Chênes pubescents) vont prendre la place.

Des garrigues au pluriel


On parle souvent de garrigues au pluriel tant ce milieu peut avoir des formes différentes. Continuum entre la pelouse et la forêt, la garrigue constitue un ensemble de formations végétales variant selon la hauteur de la végétation, l’histoire de l’utilisation du milieu, la topographie, la nature de la roche et
du sol, les conditions micro-climatiques, etc. Globalement, on peut distinguer les milieux dits ouverts allant de la dalle rocheuse où ne poussent que quelques plantes grasses et annuelles à la garrigue dominée par des arbustes bas en passant par les mosaïques de pelouses à dominante de graminées.
La pelouse à Brachypode rameux est la plus emblématique des zones pâturées et/ou brûlées sur sols très superficiels. On y trouve un grand nombre d’espèces originales (iris, orchidées, tulipes, gagées...). Les premiers stades de recolonisation font apparaître une très grande diversité de ligneux bas : Thym, Romarin, Grémil ligneux, Bruyère multiflore, Genêt scorpion... Parmi les stades intermédiaires, la brousse à Chêne kermès caractérise les zones très fréquemment parcourues par le feu. Ce petit chêne, qui a donné son nom à la garrigue (le nom occitan du kermès est le garric), peut alors recouvrir de très grandes zones de façon quasiment mono-spécifique et se maintenir en l’état pendant de longues périodes (plusieurs décennies).
Les milieux se refermant, les cortèges floristiques se transforment peu à peu. Des arbustes hauts (Genévrier cade, Arbousier...) prennent de plus en plus de place. Le Pin d’Alep, espèce pionnère en pleine dynamique de colonisation des garrigues, essaime en grande quantité notamment sur les terres
caillouteuses et marneuses. Les stades forestiers se succèdent ensuite : pinèdes de Pin d’Alep, chênaie verte puis chênaie pubescente. La trace d’anciennes utilisations de l’homme peut parfois être décelée dans ces milieux de garrigues en cours de fermeture : taillis de chênes verts se développant à partir d’anciens mattas (bouquets de chênes autrefois exploités pour le bois, l’écorce...), pinèdes provenant d’arbres semenciers issus de masets ou de plantations datant du début du XXe siècle...
Globalement, ces stades forestiers intermédiaires recèlent une diversité et une originalité de leur flore et de leur faune beaucoup moins importantes que les milieux ouverts.

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Les paysages de garrigues


Il est difficile de séparer l’habitat naturel de garrigue d’une approche plus englobante prenant en compte les évolutions des activités humaines et leur impact sur les paysages. Au début du Néolithique (il y a environ 9 000 ans), le climat méditerranéen que l’on connaît aujourd’hui se stabilise. A cette époque, le territoire languedocien est recouvert d’une forêt constituée essentiellement d’arbres à feuillage caduc (Chêne pubescent et érables notamment). La végétation plus méditerranéenne (comme le Chêne vert) se limite à des lieux aux conditions de sols et de micro-climat extrêmes telles que les abords des falaises calcaires. Les populations humaines se sédentarisent. Peu à peu des pratiques comme l’agriculture et l’élevage du mouton diffusent. La forêt commence à être défrichée pour accueillir ces nouvelles activités. L’ouverture des milieux favorise peu à peu le développement des plantes xérophiles (adaptées à la sècheresse) et héliophiles (adaptées à un important ensoleillement) typiques des garrigues. Néanmoins, ce phénomène, qui va se répandre très lentement durant plusieurs millénaires, reste encore relativement limité du fait d’une population humaine peu nombreuse et de techniques agropastorales rudimentaires (Vernet, 1997). Durant l’antiquité et le début de l’époque historique, le phénomène de déforestation s’intensifie fortement. L’augmentation de population, le développement urbain, l’organisation et la diversification des pratiques agro-pastorales entraînent une importante métamorphose des paysages avec une extension des zones de garrigues et un recul de la forêt. La pression humaine sur le milieu devient très importante au Moyen-Âge autour de l’an mille avec, semble-t-il, une systématisation des défrichements. Cependant, au XIVe et XVe siècle, des guerres, la peste, des famines et une succession de conditions climatiques difficiles entraînent une importante baisse de la population. De nombreuses terres anciennement cultivées et pâturées sont abandonnées au profit de la forêt. Cette extension forestière va être exploitée durant les siècles suivants notamment par les verriers. Une gestion sylvicole pour le bois de chauffage, le charbon de bois, les fagots, etc. s’organise. Ce modèle d’organisation agro-sylvo-pastorale avorise alors une grande diversité de milieux. Au XVIIIe et XIXe siècle, la population ne cesse d’augmenter. L’exploitation des terres s’étend de plus en plus loin des villages. Pivot du système rural méditerranéen, l’élevage ovin prend une place prépondérante. C’est ce territoire, alors couvert de garrigues, qu'ont prospecter les naturalistes montpelliérains à l’origine de la définition écologique de ce type de végétation durant le XXe siècle. Enfin, l’exode rural, la mécanisation (et donc l’abandon du cheval), l’apparition de nouvelles sources d’énergie, le gel de 1956 qui bouleverse l’oléiculture, la myxomatose qui radique les lapins (autrefois susceptibles de limiter la végétation), l’abandon agricole et, plus récemment, la mondialisation des échanges commerciaux et les phénomènes de périurbanisation transforment profondément ce système plurimillénaire d’utilisation de l’espace rural méditerranéen. Malgré une augmentation importante de la population, les usages agro-sylvo-pastoraux de ces espaces se réduisent considérablement. Les zones de garrigues n’étant plus exploitées, plus entretenues par l’homme et ses pratiques, la dynamique de végétation reprend son cours et les aysages redeviennent peu à peu forestiers. L’analyse géographique du foncier actuel permet par exemple de lire plus précisément ces évolutions historiques et leur impact sur les paysages. Ainsi, dans les zones de bassins, plaines et vallées de l’arrière-pays sec languedocien, le parcellaire est géométrique, organisé autour de grands axes orthogonaux issus de la cadastration romaine. Ce sont les zones encore aujourd’hui les plus agricoles notamment viticoles durant le XIXe et XXe siècle. Les piémonts et versants sont constitués d’un microparcellaire hérité d’anciens défrichements et ayant subi différentes vagues d’utilisation agricole et d’abandon selon les époques. Ils sont aujourd’hui le support d’une colonisation rapide par le Pin d’Alep notamment sur les zones marneuses. C’est également un espace d’extension urbaine important, parfois localement en concurrence avec des dynamiques de reconquête viticole en démarche de qualité. Enfin, les reliefs, plateaux et massifs, sont constitués de grandes parcelles aux formes géométriques ou lâches, issues notamment de vastes communaux de bois et pâturages. C’est aujourd’hui le domaine des garrigues en cours de reforestation et des vastes étendues de taillis de chênes verts. (De Labrusse, 2012).

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La conservation des milieux de garrigue


Les milieux de garrigues connaissent aujourd’hui de nombreuses évolutions rapides. Elles peuvent être regroupées en deux grandes catégories :
- les évolutions liées à l’artificialisation des terres;
- les évolutions liées à la fermeture des milieux.

On observe effectivement aujourd’hui une très forte périurbanisation de la frange littorale méditerranéenne française qui s’étend de plus en plus à l’inté-
rieur des terres. La consommation d’espaces entraîne une destruction directe des espaces naturels mais également une fragmentation des milieux altérant les fonctionnements des espèces et des écosystèmes. Les modifications importantes des usages au cours du XXe siècle, ont entraîné des modifications des paysages. En effet, alors qu’il existait une exploitation pluri-millénaire des espaces de garrigues (activités agro-sylvo-pastorales intimement mêlées), le dernier siècle a connu un abandon très important des activités sur ces zones. Ces modifications ont eu pour effet une reprise des dynamiques de ferme-
ture des milieux de garrigue. Le pastoralisme et l’agriculture déclinant sur le territoire, le Pin d’Alep a conquis de très grands espaces, les taillis de chênes, plus exploités, ont vieilli. Cette évolution entraîne par conséquence un recul des espèces strictement inféodées aux milieux ouverts et un développement
des populations d’espèces plus généralistes et forestières comme le sanglier. La question de la fermeture du milieu est un problème complexe.
En effet, si pendant longtemps, la garrigue a été considérée comme le résultat négatif d’une surexploitation des milieux, le regard qu’on y porte aujourd’hui a changé. La notion nouvelle de biodiversité et la meilleure connaissance des fonctionnements écologiques des écosystèmes, ont fait aujourd’hui apparaître la valeur de ces milieux ouverts et l’intérêt de leur maintien. Néanmoins, la «conservation» des garrigues, bien qu’elle apparaisse aujourd’hui comme un
objectif relativement consensuel, amène à de nombreuses problématiques tant leur présence est liée à l’activité de l’homme. En effet, il ne s’agit pas seulement de traiter de questions de protection de la nature mais aussi de maintien de l’agriculture, du pastoralisme, de leur économie locale, du rapport
entre la ville et la campagne, des représentations des habitants, de la question des incendies et de la production sylvicole, etc. D’où l’intérêt d’une approche englobante et territoriale.

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