Patrimoine de Brissac : Notre Empreinte

Investigation artistique sur la mémoire des villages. Chapitre 1 : L'arrivée au village



1- La Mairie



Texte : Le Cri Dévot, d'après La Mastication des Morts de Patrick Kermann
Voix : Le Cri Dévot


Au Vigan, je suis descendu de la micheline rouge, m'attardant sur le quai tandis que le chef de gare inversait la plaque métallisée pour le retour vers la ville. Je suis sorti sur le perron de la façade rouge brique de la gare. Le kiosque à journaux était fermé, depuis des années probablement au vu de la peinture écaillée et des planches disjointes par les intempéries. A gauche se dressait un panneau de la société de transport Bernard et Fils dont une affichette indiquait qu'un car pour Brissac partirait à seize heures vingt. Ce ne fut pas le car bleu aux sièges marron patinés.

Je fixai la route puis, fermant les yeux, comptai les virages, droite, droite, gauche, droite et les rouvris au partage des eaux. J'étais le seul à me rendre à Brissac. Je fermai les yeux. Je voyageais depuis le matin. Je m'endormis.

Le chauffeur du car me réveilla. Nous étions arrivés à Brissac. Je descendis d'un pas mal assuré, engourdi par le somme et me retrouvai sur la place de la mairie. On y accédait par deux escaliers latéraux ornés d'une balustrade en pierre pleine. Après la guerre, m'avait-on raconté, le village n'avait pas assez d'argent pour reconstruire la mairie à l'identique et il fallut renoncer à l'élégante rampe ajourée en fer.

Sur le perron tous les 14 juillet, se tenait le maire, encadré de ses adjoints et de mademoiselle Sauvin, notre institutrice et secrétaire de mairie, et nous lisait le même discours, fixé depuis la libération, puis nous les enfants endimanchés, chantions, la Marseillaise, accompagnés par la fanfare à laquelle se joignaient quelques parents devant la mine réjouie et approbatrice du conseil municipal, perdu dans les années de jeunesse qu'il rêvait héroïques. Puis, après de brefs applaudissements et un léger signe de reconnaissance d'une année de travail adressé en direction de mademoiselle Sauvin, le maire sortait, de sa poche gauche cette fois-ci, une feuille de papier quadrillée de format identique à celle de nos cahiers, et lisait la liste des élèves primés.

Je reçus « Les nouvelles extraordinaires » d'Edgar Allan Poe, une édition en cuir relié dont le titre, en lettres dorées, se détachait sur la couverture rouge sombre. Je la possède encore dans ma bibliothèque. Quand j'ouvre le livre, figure sur la page de garde un encadré au tampon encreur portant la mention : Prix de français de la commune de Brissac. C'était le 14 juillet. C'était le début des grandes vacances.



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