Un poète qui chante la garrigue



Auteur : Magali Fraisse
Date : novembre 2013


Max Rouquette est né en 1908, à Argelliers, et mort en 2005, à Montpellier. Durant ses études de médecine, il participe à la naissance du mouvement “Le Nouveau Languedoc” puis à la création de l’Institut d’études occitanes (IÉO) en 1945. Il écrit durant toute sa vie en occitan, dans tous les genres, théâtre, poésie, roman. Sa grande œuvre en prose en sept volumes, Verd Paradís (Vert Paradis), est traduit en sept langues. Il est un des écrivains majeurs de l’Europe du XX e siècle. La garrigue du Bas-Languedoc occupe une place essentielle dans la prose et dans la poésie rouquettiennes. Les récits d’enfance que constituent les premiers textes de Verd Paradís, “secret de l’èrba” [secret de l’herbe], “pluma que vòla” [plume qui vole] et “espèra d’estiu” [affût d’été], ont une dimension initiatique et racontent les aventures d’un groupe d’enfants à la découverte de son environnement. La flore et la faune des alentours d’Argelliers sont l’objet des premières expériences : les garçons jouent à se battre avec les figues sauvages encore dures, à faire sortir les grillons de leur trou pour les capturer, à inonder les fourmilières, à observer les oiseaux. L’exercice de la cruauté côtoie tout naturellement l’affection et très vite le sentiment d’accéder à une dimension sacrée, aux mystères de la vie, de la mort. Dans toute son œuvre, Max Rouquette célèbre la “paraula muda” (la parole muette), cette voix intérieure qui sourd du plus profond pour lui dicter ses mots. Sans romantisme mais loin des hommes, il trouve dans la garrigue, dans les petites bêtes, dans l’aridité, la minéralité et l’hostilité du lieu, dans la rencontre des rares sources qui le parsèment, le moyen d’accéder au moi pro- fond, loin de l’agitation factice de la vie sociale.
Les nouvelles qui constituent Verd Paradís sont, en effet, des leçons d’humilité et de vérité. L’homme s’y retrouve seul face à la nature et à lui-même. Par exemple, le topos de la chasse à l’affût, récurrent dans l’œuvre, est une sorte d’ascèse qui permet de fusionner avec une configuration géographique dont le caractère épuré permet de comprendre l’essence des choses. Le désir de ne faire qu’un avec la garrigue s’exprime tout au long de l’œuvre, de l’appropriation enfantine à l’expérience ultime de Costasolana qui meurt, allongé sur le dos, et découvre en même temps qu’il n’est rien mais que toute chose contient l’Univers tout entier. Ainsi, la garrigue inspire à l’auteur une éthique minimaliste, une esthétique de l’infiniment petit. Même si des formes verticales, celles des chênes verts, celles des cyprès se dressent dans le paysage rouquettien, on note une prédilection pour les petites bêtes, le lézard, le serpent, le grillon, la fourmi, l’araignée que le poète fait ainsi parler dans Bestiari [Bestiaire] : “Siái res, siái res. Res qu’una deca dins la lutz.” [Je ne suis rien, je ne suis rien. / Rien qu’un défaut dans la lumière] Pourtant, comme Costasolana devient en mourant le centre de l’Univers, le plus petit des animaux est au cœur de la création.

Ainsi “lo grilh” [le grillon] :
“Grilh perdut quand l’ochava canta, / grilh de la vesprada de Mai, / rei de la nuòch que senhoreja, / rei de ma soletat e mai / rei de la soletat dau mond, / m’apasima ton doç cantar, / ton cantar que mòu las ensenhas, / que mòu lo mond e mai lo vent, / quand lum dau cèl coma candèla / se clina au grat de ton alen. Savi, qu’au dire dels vièlhs savis, / tant as delícia de ton cant, / que n’oblidas tota pastura, / delícia e morisses, cantant.”
(Los Saumes de la nuòch [Les Psaumes de la nuit]).

Grillon perdu dans la méridienne, / grillon de la soirée de Mai, / roi du royaume de la nuit / roi de ma solitude et aussi / roi de la solitude du monde, / ton doux chant m'apaise, / ta chanson qui meut les étoiles, / qui meut le monde avec le vent, / quand feu du ciel comme chandelle / vacille au gré de ton haleine. / Sage qui, selon les vieux sages, / prend tant de joie à ta chanson, / qu’en oubliant boire et manger, / délice, tu meurs en chantant.]

À l’instar du grillon, auquel il rend hommage dès ses débuts d’écrivain en publiant ses poèmes sous le pseudonyme de “Cantagrilh”, Max Rouquette n’a eu de cesse de chanter la garrigue, comme pour lui rendre ce qu’elle lui avait donné.





Cartes et illustrations

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Lien vers: http://wikigarrigue.info/galerie/main.php?g2_itemId=5946
Lune






































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