Le maset, phénomène social nîmois au XIXe siècle et jusqu'aux alentours de 1930



Auteur : Pascale Parat-Bezard
Date : novembre 2013


Construction à l’origine très rudimentaire connue dans d’autres régions sous divers noms, le maset * est un abri précaire à la campagne ou en montagne. D’une typologie bien marquée – une seule pièce carrée ou rectangulaire sur- plombée d’une toiture à un ou deux pans – le maset signifie “petite maison” et en incarne le modèle réduit. Une “petite maison de campagne” sur un morceau de garrigue appropriée par des Nîmois – rachalan (1) ou ouvrier du textile – désireux de mettre en culture des pâturages communaux et de cultiver légumes et oliviers. L’appellation “maset” peut également s’entendre dans le sens de “petit mas” et cette structure élémentaire sera beaucoup plus tard surélevée, surplombée d’un étage ou prolongée par un appentis. Il occupe généralement un coin limite de la parcelle ou se situe en bordure du chemin d’accès. Orienté au sud en raison du climat et du relief, sa façade principale concentre les ouvertures et la treille.
En occitan, le “z ” n’existe pas, “maset” s’écrit donc avec un “s”, le “z” est un francisme. Selon les cas, le maset concerne la seule habitation de l’enclos sur lequel il est situé mais le langage courant inclut aussi le bout de terrain qui l’entoure. C’est dans cette acception qu’il sera ici entendu.
Bien que la représentation traditionnelle des écrivains, poètes et chansonniers locaux tende généralement à lui attribuer une fonction de détente, le rôle économique et social joué par le maset nîmois dès la première moitié du XIX e siècle et jusqu’aux alentours de 1930 n’est
pas négligeable (2) . Métaphore de la bourgeoisie, il peut, dès le début de la période, constituer d’une certaine manière une forme de tolérance auprès des nécessiteux (3) .
De 613 en 1832, quelques 4 000 masets ont pu être dénombrés cent ans plus tard, et il est alors patent que “le maset nîmois n’avait rien d’une pratique ou d’un objet ponctuel”. Bien que certains ouvriers aient échoué dans cette entreprise d’accession à une forme de propriété, Paul Marcelin soutient que grâce à ce phénomène “Nîmes n’a pas connu des luttes sociales aussi âpres que celles qui ont eu lieu dans d’autres régions...”
Sur place, pas d’oisiveté pour le masetier * qui n’a de cesse de consolider, restaurer cette construction durant ses dimanches et jours de fête. Complément non négligeable du salaire de son propriétaire (jusqu’à près d’un tiers de son salaire moyen selon Paul Marcelin), le maset est un élément indispensable en période de crise. Dans cette garrigue nîmoise, “terre des pauvres” ainsi nommée par les habitants des quartiers bourgeois (Lheureux, 1987), on coupe du bois pour se chauffer, on cultive légumes, plantes comestibles ou aromatiques, on tente de faire pousser des oliviers, on mange au grand air... Les enfants jouent, prennent des couleurs et, aux côtés de leurs parents se familiarisent dès leur plus jeune âge à une vie de labeur. Préservant l’ouvrier de sa condition même, le maset lui octroie une dignité, une autre identité et Raymond Huard résume bien cette tendance à gommer les différences sociales : “Petit ou grand, rustique ou confortable, pimpant ou laid, il est signe d’enracinement, d’appartenance, effaçant les antagonismes sociaux, réduisant les distances, imposant un NOUS”.
Nombre de récits bien contés offrent le témoignage passionnant de moments heureux et pittoresques vécus au fil du temps par les occupants du maset et par leurs convives. Ce petit patrimoine attachant constitue même, pour Catherine Bernié-Boissard, le “paradoxe de l’urbanité nîmoise”. La géographe voit, en effet, dans cette construction, une forme de subversion produite sur l’ordre social urbain. Lorsqu’ils s’y rendent, les “masetiers” quittent la ville et l’ordonnancement des boulevards pour rejoindre et cultiver ces enclos qui, éparpillés dans les garrigues, représentent autant de refuges pour s’évader d’un ordre établi : “À l’ordonnance architecturale, à l’alignement militaire, aux contraintes de la topographie, le maset oppose l’anarchie sympathique de la fantaisie et de l’indépendance, une certaine forme de liberté conquise par le travail.”






1. Était surnommé ainsi l’ouvrier agricole (Marconot, 2011). Le mot provient du patois “rache” c’est à dire l’“âne”, compagnon qui lui était indispensable pour le transport des récoltes, des outils et du fumier.
2. Notons toutefois que le poète Antoine Bigot a bien valorisé les deux fonctions : économique et symbolique.
3. Le terme apparaît au XIX e siècle et désigne “non seulement le marginal ou le manœuvre nomade mais l’artisan, l’ouvrier qui d’ordinaire vivent de leur travail” (Bernié-Boissard,1991). dans les garrigues, représentent autant de refuges pour s’évader d’un ordre établi : “À l’ordonnance architecturale, à l’alignement militaire, aux contraintes de la topographie, le maset oppose l’anarchie sympathique de la fantaisie et de l’indépendance, une certaine forme de liberté conquise par le travail.”




Cartes et illustrations

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