Le FONCIER des GARRIGUES dans l'ANTIQUITÉ TARDIVE et au HAUT MOYEN-ÂGE, Ve - Xe siècles.

Discussion sur ce chapitre
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1ere période : La propriété et le foncier dans l'antiquité tardive et la 1ère période mérovingienne (409 - 759)


Les wisigoths s'installent en Languedoc à partir de 409 et plus durablement de 462 à 477 (Helas, 1993, p.116), puis succèdent la conquête arabo-musulmane (à partir de 719) et la reconquête franque (739-759).
Cette phase est marquée par « une atonie démographique dont les effets s'accumuleraient pour aboutir à un resserrement de l'espace agraire » (Bourin-Derruau,1987, tome 1,p.47).

Il semble, en particulier, qu'à cette époque, la silva et le saltus couvrent la majeure partie des territoires.
L'ager , approprié, organisé en « villae »,en partie héritées de l'antiquité romaine, se restreint à des îlots (Bourin-Derruau,tome 1, 1987) sur les meilleures terres des bassins et dépressions.
Silva et saltus ne relèvent pas, à proprement parler, de la propriété foncière, et ne sont pas précisément délimités. Tout au plus ces vastes zones, plus ou moins définies, sont elles sous la juridiction- ou propriété éminente, des aristocraties (des comtes, des vicomtes, voire du pouvoir royal) et de quelques abbayes, comme Saint Hilaire de Montcalmès (près d'Aniane) (J.L Roque et alii, 2011, p.198).

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Ceci justifiera, de la part de ces aristocraties, ultérieurement, progressivement, ça et là, des «dons », avec des droits plus ou moins implicites, eux même plus ou moins définis. Il semble – ou il se peut- que ces « dons » soient, dans certains cas, du moins, des reconnaissances d'appropriations de fait.
Ainsi, dans le droit wisigothique (codes d'Euric,471, bréviaire d'Alaric, 506, « loi des wisigoths, 643) le « bifang » règle le droit de défrichement en accordant en propre la propriété de la terre au premier défricheur.
Le droit de pâturage est absolument libre, dans tous les milieux et zones , et même, prime sur les propriétés , jusqu'à trois jours (communication personnelle de J.F Lalanne).

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le bréviaire d'Alaric (conservé à l'Université de Clermont-Ferrand) (source: Wikipedia commons)

2e période, Carolingienne, IXe et Xe siècles

Reconstitution des domaines (« villaes ») et de l'ager :

La période est marquée par un renversement de tendance avec la reconstitution de domaines, sous forme de « villaes ».
L'appel à des réfugiés-colons espagnols permet des remises en culture, voire de nouveaux défrichements. Le régime de l'aprision leur permet, au bout de trente ans d'en devenir propriétaires- alleutiers (tel que attesté, entre autres dans le diplôme de Louis le Pieux de 816) (J.C Helas, 1993, p.142).
Cette reconstitution du domaine cultivé et l'extension des cultures s'opère, essentiellement, sur les « bonnes terres » de l'ancien « ager » romain antique (Bourrin-Deruau,1987, tome 1, p.47). C'est le cas, en particulier à Nîmes, avec la remise en culture, par les contrats du chapitre de Nîmes, des anciennes parcelles quadrangulaires de la centuriation romaine (Grava, 2008, p.96).

Fondations ( ou reconstitutions) des domaines d'abbayes et monastères bénédictins.

Également c'est une période de fondation (ou de reconstitution) d'abbayes bénédictines, telles que celles d'Aniane (777 ou 782, Helas, 1993, p.138-139) et de Gellone (804) à Saint Guilhem le Désert (Pioch,1999), de Saint Saturnin du Port (918) à Pont Saint Esprit, (Gourdon, 1932, p.9), de Saint Sauveur de la Font en 990-991, à Nîmes, au « temple de Diane », (Gourdon, 1932, p.9 ; Grava 2006, p.81), en 1019 celle des moniales de Saint Geniès des Mourgues (sous la dépendance de Psalmodi) (Cholvy, 1976, p.54), du monastère de Notre Dame de Bondilhon (la future chartreuse de
Valbonne, entre Cèze et Ardèche) sur des terres nouvelles gagnées sur la forêt.

La « villa »: 2 types de propriété, alleux et droits seigneuriaux.

Le mode d'organisation est encore, essentiellement, la « villa » c'est à dire un domaine, subdivisé en
alleux et en « droits généraux  - seigneuriaux- sur l'étendue de la villa, comprenant, notamment la possession de tout ce qui n'est pas approprié, eaux courantes, friches, forêts , sur son territoire (terminium), voire sur des « terminia » annexes, issus, peut-être du rattachement d'une autre ancienne villa. » (Bourin-Derruau,1987, tome 1, p.61).

En 804, le cartulaire de Gellone mentionne ainsi la « villa Gremianum », l'actuel Gremian à Cournonsec, dont le terroir est à cheval sur la plaine et les garrigues.

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En 996, est mentionnée la « villa dicta larnag », actuel Launac à Fabrègues (J. Segondy et L. Secondy, p.43).
Dans les documents de 1031-1060 la « villa quam vocant Muro Vetulo » est Murviel (J. Segondy et L. Secondy, p.44).

Terroirs de l'ager et parcelles au 9e et 10e siècles :

Les terroirs de l'ager sont organisés de façon monoculturale: « ici un terroir viticole, là un terroir céréalier » (Bourin-Derruau, 1987, tome 1, p.40). Propriétés et exploitations sont donc organisés en « noyaux de terroirs spécialisés », proches les uns des autres: il n'y a pas dispersion en plusieurs propriétaires. Dans ces terroirs les parcelles sont , généralement, de forme rectangulaire, parfois trapézoïdale, héritées, plus ou moins fractionnées et déformées, des cadastrations romaines là où elles existaient.

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(Source: Bourin-Derruau, villages médiévaux en Languedoc..., 1987, tome 1, p.58)

De même, à Nîmes, les parcelles acquises en 913 par les chanoines sont elles de forme carrée, pour une « terra laborativa » de 50 dextres de côté (environ 200 mètres) ou rectangulaires (280 m sur 48 m, 240 sur 32). En 918 une « terra vacua » de 520 m sur 100 est acquise du côté de Saint Côme et Maryejols, en Vaunage. En 973 les acquisitions de vignes à Courbessac sont des parcelles trapézoïdales de 100 m sur 40 sur 120, ou 300 sur 130 sur48 (Martel, 2003, p.112).

Les surfaces moyennes des parcelles, entre 880 et 1050, sont relativement importantes, de l'ordre de 2 à 4,5 hectares, voire de 5 à 6 hectares dans le cas de propriétés ecclésiastiques (Bourin-Derruau, 1987, tome 1, p.45).
Dans le cas de la « terra laborativa » nîmoise ci-dessus il s'agit de 4 ha.

Le manse 9e-10e siècle, centre de l'exploitation agricole.

Le manse est le centre d'une exploitation avec sa demeure, ses corps de bâtiments, sa cour.

Le casal, demeure du paysan, comprend une ou des parcelles attenantes, pour le jardin, éventuellement une vigne et une ferragine (Bourin-Derruau, 1987,tome 1, p.45).

La charte de « fondation » de Montpellier, en 985, c'est à dire la donation du comte Bernard de Melgueil (Mauguio) à un certain Guilhem ( fondateur de la dynastie montpelliéraine des Guilhems), nous donne, de manière très complète, le statut juridique et la description des éléments composant ces manses-domaines :
« ...et dans les limites de la villa de Montpellier nous te donnons un manse où demeure Amalbert, avec leurs limites et toutes les dépendances qui reviennent à ces manses qui nous viennent de la donation d'un homme du nom de Bert, c'est à dire maisons, enclos, cours, jardins, oliviers, issues, champs, vignes, prés, forêts, garrigues, arbres fruitiers et non fruitiers, eaux et leurs cours, toutes choses et sur toutes choses, au titre de possession, tant les droits actuels que les droits à obtenir, dans leur intégralité » (J.C Helas, 1993,p.145-146).

Des zones de garrigues et forêts non organisées en « villaes », appropriées par les abbayes et des seigneuries laïques.

Il s'agit des vastes zones incultes, inhabitées, des plateaux et reliefs. C'est le cas, en particulier, du massif de la Moure (causse d'Aumelas).
Il s'agit, parfois « d'espaces à l'origine publics, c'est à dire régaliens, puis comtaux » (Bourin-Derruau,1987, tome 1, p.61).

Ces espaces ont pu faire l'objet de donations ou cessions aux abbayes comme celle d' Aniane et Gellone (St Guilhem le Désert) qui encadrent les causse d'Aumelas, de la Selle, de Viols, la Buèges et le bassin de Londres.

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A cette carte, il convient d'ajouter d'autres localisations ponctuelles, au cœur des garrigues, comme, par exemple la création par l'abbaye d'Aniane, entre 780 et 799, de la « cella »de Sangras (commune d'Argelliers) (Durliat, 1968, p.242). Ce lieu dispose d'une source, d'une petite vallée cultivable (du ruisseau de l'Arnède) et de vastes garrigues.

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Les anciennes forêts carolingiennes ont pu également être appropriées par des familles seigneuriales laïques. C'est le cas, par exemple, des Guilhems de Montpellier, dont le cœur originel de leur seigneurie est à Aumelas.

Les droits d'usage des villageois dans les garrigues et forêts seigneuriales.

Ces appropriations seigneuriales peuvent également avoir été opérées par expropriation de fait des villageois, mais en leur maintenant et consignant leurs droits d'usage, à commencer par le droit de pacage en forêt, concédé – et consigné- dès le IXe siècle.
D'autres droits sont consignés : ramassage de bois mort, de litière et fourrage à partir de frênes et des ormes, production de miel, de sirop d'érable champêtre (Roque et alii,2011, p.18).


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