La garrigue-atelier au Moyen-Age



Auteur : Claude Raynaud
Date : novembre 2013

Regroupement de population autour des monastères et châteaux féodaux

Si l'idée de rupture a cédé la place à celle d'une longue mutation entre Antiquité et Moyen Âge, les VII-VIII e siècles marquent bien cependant l'étiage * du peuplement des garrigues : les indices archéologiques de ces temps restent infimes, l'essentiel de l'activité se concentrant toujours sur le littoral. Aussi n'est-ce pas par hasard si à la fin du VIII e siècle, deux fondations monastiques teintées d'érémitisme *, Aniane et Saint Guilhem, s'établissent dans l'arrière-pays de la vallée de l'Hérault. Dans ce "désert" tout relatif où les avaient précédés les artisans-forestiers de Pampelune au V e siècle, les ermites participeront au regain d'activité marquant, après de longs siècles d'atonie, les XI-XII e siècles.
Avec un temps de retard et une moindre intensité que dans les plaines, les puechs de la garrigue accueillent alors les châteaux de la féodalité, nouveaux centres de pouvoir et de regroupement des populations. L'un de ces premiers groupements, le hameau de La Conque près de Saint Martin-de-Londres (Hérault), rassemblait quelques maisons réparties sans plan concerté ni enceinte, ni semble-t-il d'église. La fouille d'une maison, l'une des rares étudiées à ce jour pour cette période, permet d'approcher le cadre de vie en ce début du second millénaire. Avec des murs en pierres sèches, un sol en terre battue et un foyer sommaire, ce modeste bâtiment, qualifié de cabane, couvrait moins de 20 m 2 partagés en deux pièces par une cloison en terre crue. Ce modeste habitat, que l'on ne peut encore qualifier de village, fut occupé puis abandonné au XII e siècle. Cet abandon est peut-être contemporain à l'installation du monastère de Saint-Martin-de-Londres qui contribua à
regrouper la population des environs.

Villages médiévaux et mas des garrigues

Plus durablement établis, fortifiés lorsqu'ils abritent la seigneurie, ouverts dans les autres cas, les villages rassemblent de cent à trois cents habitants, certains bourgs pouvant atteindre mille à trois mille habitants, à Gignac, Sauve, Vézenobres, Anduze... Cet habitat groupé ne se distingue guère des bourgades de plaine, dans sa morphologie ni sa topographie : les villages s'organisent en trame dense autour du château, dans le cas des seigneuries laïques, ou de l'église, dans celui des seigneuries ecclésiastiques. Certains bourgs seulement, fossilisés par la stagnation démographique et / ou le déclassement économique, ont conservé une part de leur cadre de vie médiéval, à Saint-Guilhem-le-Désert, Sauve, Sommières ou Vézénobres, où l'on peut voir quelques maisons des XIII e et XIV e siècles, bordant la rue principale. Plus exceptionnellement encore, lorsque la population ne s'est pas développée aux XIX e et XX e siècles, l'enceinte médiévale s'est conservée en tout ou partie, comme à Viols-le-Fort ou Notre-Dame-de-Londres dans l'Hérault, Cornillon ou Saint-Laurent-la-Vernède dans le Gard.
Une faible part de la population échappait au groupement villageois, dans des écarts qui ne se développèrent véritablement qu'à partir du XIIe siècle. La fouille de l'habitat des Cougnets, près d'Aniane, a permis de caractériser un groupe de neuf édifices bâtis en pierres sèches, torchis et bois, couvrant de 20 à 27 m2 . L'aménagement et la taille des bâtiments rappellent ceux de la cabane de La Conque, mais ici la fouille a révélé toute une structuration associant habitations, appentis et enclos, ces derniers marquent la prépondérance de l'activité pastorale.
Dans le même temps, mais plus nettement aux XIII e et XIV e siècles, émergent d'autres lieux d'habitat au centre de terroirs de récente mise en valeur : les mas. Cet habitat dispersé constitue dès lors l'un des traits distinctifs du peuplement de la garrigue, contrairement aux secteurs de plaine où les mas se développeront plus tardivement et en moindre fréquence.

Un nouveau maillage territorial

L'arrière-pays connaît alors un peuplement d'une densité jamais atteinte auparavant, ce qui impose un nouveau maillage territorial. La garrigue apparaît comme un monde plein, au sein duquel les conflits d'usage opposent seigneuries et communautés jusqu'à ce que se multiplient, au XIIIe siècle, les opérations de bornage territorial. Cette densité connaît cependant ses limites, celles qu'imposent des ressources plus mesurées que celles des plaines. Les données démographiques approximatives dont on dispose pour la vallée du Vidourle ne laissent aucun doute quant au décrochage entre garrigue et littoral : à la fin du XIII e siècle la densité de population autour de Sauve reste trois fois inférieure à celle de la seigneurie de Lunel.

La garrigue-atelier

La garrigue n'en jouait pas moins un rôle décisif au sein de l'ample essor démographique et économique des XI-XIII e siècles. Grâce à ses ressources minérales et végétales, l'arrière-pays assurait alors à l'avant-pays urbanisé, l'essentiel de l'énergie et des matières premières dont dépend son artisanat. Fer, chaux, bois d'œuvre et charbon de bois de la garrigue prennent alors une importance vitale, au point que dès 1215, les consuls de Montpellier acquièrent les 3 000 hectares du Bois de Valène, entre Viols-le-Fort et Murles. Ce secteur, mis en coupe réglée par l'administration urbaine, abrite plusieurs siècles durant, une véritable zone industrielle où s'activent charbonniers, potiers et métallurgistes autour du Mas Viel. Les poteries rouges de l'atelier de Mas Viel, au XIII e siècle, connaissent une large diffusion sur le littoral, de Nîmes à l'Hérault. Les comptes d'exploitation de Valène révèlent une source de revenus considérables pour la ville, représentant entre 20 et 45 % de ses rentrées, aux XIV e et XV e siècles. Vive la garrigue ! Dès le XIV e siècle, le consulat instaure une gestion rigoureuse de l'activité, délimitant et régulant les coupes de bois afin d'éviter l'épuisement de la ressource.
Au même moment, les consuls de Nîmes connaissent les mêmes préoccupations, acquérant ou s'assurant l'accès aux ressources de la garrigue au nord de la ville. Partout dans les villes et les plus petits bourgs, au XIV e siècle les "coutumes" seigneuriales qui encadrent les usages, prennent soin d'édicter des règlements en faveur de la ressource bois. Avec les charbonniers, fustiers *, chaufourniers * et potiers, les gentilshommes verriers, particulièrement nombreux entre Claret et Sommières, contribuaient aussi à cette dynamique proto- industrielle, moteur de l'économie du Moyen Âge finissant.
Lié à cette activité manufacturière pour la transformation de la laine, l'élevage ovin apparaît particulièrement adapté aux conditions, marquant parfois de façon excessive l'image actuelle de l'arrière-pays. La vocation lainière de Sauve, Ganges et Sommières s'affirme à la fin du Moyen Âge, marquée par l'importance des troupeaux dont témoignent les redevances de transhumance sur les hauteurs cévenoles. N'en concluons pas cependant à une spécialisation poussée : l'élevage produit aussi du lait et de la viande, comme en témoignent de nombreuses redevances en nature mentionnant des agneaux, dont le fameux agneau pascal, usage du Moyen Âge très chrétien ! La règle reste, en garrigue comme dans la plaine, à la diversité de la production. Si élevage et artisanat connaissent un ancrage marqué dans l'arrière-pays, contrairement à la plaine où ils restent secondaires, ces activités n'excluent ni les cultures vivrières ni la viticulture. Ager, saltus et sylva coexistent : la garrigue n'est pas seulement un parcours de troupeaux.
En définitive, c'est une image contrastée qui s'impose pour un Moyen Âge plus présent et plus actif en garrigue qu'aux siècles de l'Antiquité. La garrigue abrite une large gamme d'activités tournées vers l'approvisionnement urbain : si l'on produit beaucoup de laine en garrigue, n'oublions pas que l'activité drapière est à Montpellier et à Nîmes.




Cartes et illustrations

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Sauve
























































































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