Les milieux ouverts, sanctuaires de nature méditerranéenne



Auteur : Jean-Paul Salasse
Date : novembre 2013

Les milieux ouverts sont à la mode. Autrefois décriés parce qu’ils étaient (le plus souvent) signe de la déforestation maximale à cause de l’exploitation du bois, du pastoralisme et du feu, et donc considérés comme des faciès de dégradation. Ils apparaissent aujourd’hui comme des espaces précieux, créateurs de paysages insolites et abritant des peuplements biologiques extrêmement variés et parfaitement originaux.

Les garrigues n’échappent pas à cette évolution des mentalités. En 1959, dans une revue scientifique reconnue (Annales de la Société d’Horticulture et d’Histoire Naturelle de l’Hérault, N° spécial La Garrigue), on pouvait lire : “le paysage est très dépouillé. La garrigue est ici constituée par une brousse à Chêne kermès : elle n’est souvent qu’un herme peuplé de Brachypode rameux, d’Asphodèle et de Phlomyde, dernier stade de dégradation”. Ceci n’est pas faux, mais c’est le regard que l’on porte sur ces paysages qui a changé.

Le terme de garrigue ouverte recouvre un assez large champ d’habitats naturels *.
• Au stade le plus dénudé, se trouvent les dalles presque horizontales de roches dures et lapiazées* ; les plantes grasses (Sedum) forment l’essentiel, accompagnées de quelques annuelles dans les cuvettes recueillant un peu de sable et des arbustes les plus résistants à la sécheresse (Alaterne, Amélanchier). Dans les fortes pentes au pied des rochers, des éboulis instables et chauds constituent un autre paysage spécifique dominé par les magnifiques touffes du Centranthe à feuilles étroites (Centranthus angustifolia), proche cousin du Lilas d’Espagne.
• Les pelouses viennent ensuite, quand le tapis des herbacées couvre la plus grande partie de la surface. Dominées par les graminées, elles se différencient en fonction de la profondeur et de la nature des sols :
- pelouses à Brachypode rameux (Brachypodium retusum) dans les zones convexes et les pentes caillouteuses ;
- gazons épais à Brachypode de Phénicie (Brachypodium phoenicoides) dans les sols profonds non cultivés ;
- pelouses à Brome dressé (Bromus erectus) dans les fonds concaves ;
- pelouses à Canche (Deschampsia media) dans les fonds argileux mouillés en hiver.
C’est dans les pelouses que l’originalité est la plus marquée. Inondées de soleil, elles représentent les secteurs où la “méditerranéité” s’exprime le plus intensément : beaucoup de plantes au système souterrain charnu (orchidées, iris, tulipe, ornithogales, asphodèles, muscaris, gagées, ails...) insensibles au pâturage et au feu, beaucoup de plantes à grandes fleurs attractives pour les insectes, d’innombrables insectes, escargots, iules et scorpions sous les pierres, des oiseaux couleur de terre (Pipit rousseline, Oedicnème), de nombreux et gros reptiles (Lézard ocellé, Couleuvre de Montpellier).
Avec deux printemps (un en automne après les pluies de septembre/octobre, un de février à mai), ces pelouses, totalement desséchées entre le 15 juin et le 15 septembre offrent des spectacles extraordinairement changeants tout au long de l’année.
• La colonisation de ces espaces par les premiers arbustes (100 espèces différentes de petits ligneux se rencontrent en garrigue !) amènent aux différents faciès de l’écosystème * garrigue, alternant plages de pelouses et bosquets d’un mètre de hauteur. Là encore, de nombreuses physionomies s’offrent au regard :
- brousse impénétrable de Chêne kermès ;
- garrigue à Romarin et à Grémil ligneux (Lithodora fruticosa) sur sols caillouteux ou marneux, rapidement colonisés par les pins d’Alep ;
- pelouse à Thym et autres aromatiques ;
- garrigue à cistes, fréquents après les incendies ;
- garrigue à Bruyère multiflore (Erica multiflora) sur les sols un peu moins calcaires ;
- garrigue à Genêt scorpion et à Genévrier cade sur les anciens parcours à moutons.
La vitesse de colonisation par les arbustes est rapide et très vite les premiers grands ligneux apparaissent en comblant les vides. Les stades pré-forestiers s’annoncent. Du point de vue biologique, ces garrigues gardent l’essentiel (mais à des densités moins fortes) des éléments présents dans les pelouses. Au-delà des arbustes, les peuplements d’oiseaux (en particulier le grand cortège des fauvettes méditerranéennes) et d’insectes se diversifient, tant que le paysage ne s’embroussaille pas totalement, tant que le recouvrement par les arbustes reste en-deçà de 50%.

À l’évidence, les milieux ouverts sont le fait de l’activité millénaire des Hommes : défrichement pour les cultures, coupe intensive de bois, pâturage, feux à répétition comme mode de gestion et pendant longtemps, les paysages des garrigues sont restés marqués par cette surexploitation. Dans les années 1950, de nombreux événements sont venus rompre ces activités : arrivée des tracteurs et disparition des chevaux (1952/1955) et donc limitation des espaces exploités, gel de février 1956 qui condamne temporairement la culture des oliviers, essor des villes utilisatrices de main d’œuvre d’origine rurale, déprise agricole et déprise pastorale, disparition de la demande en bois pour le gazogène et le chauffage domestique, arrivée de la myxomatose (1954) qui réduit considérablement les populations de lapins qui participaient à leur échelle au maintien des végétations rases. Les paysages de garrigues évoluent donc
vers un renouveau forestier. Pourtant, l’essentiel des physionomies paysagères et des éléments originaux de diversité biologique sont liés aux milieux secs méditerranéens. D’où l’idée d’inventer de nouveaux systèmes d’organisation sociale et économique pour maintenir ce qui reste de milieux ouverts.





Cartes et illustrations

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Mosaïque de garrigues - Cournonterral