La REPRISE du 17e SIÈCLE (1620 - 1680) et le DÉCOLLAGE CARACTÉRISTIQUE de la RENTE FONCIÈRE.

Discussion sur ce chapitre
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Une reprise ambigüe : poursuite du même système agraire et foncier ou éléments nouveaux ?

Après la période troublée de 1560 à 1620, la situation se rétablit lentement et à un rythme moins soutenu que le siècle précédent, et pour une durée plus courte d'une quarantaine d'années environ.
La croissance démographique reprend, plus faible : au 16e siècle elle était de 10 %. elle ne sera plus que de 2 à 3% au cours du 17e. Le morcellement foncier se poursuit.

Mais la main d’œuvre agricole est relativement plus rare, d'autant que la draperie l'attire. Les salaires agricoles ont augmenté.
De même les impôts augmentent. Les leçons ont été tirées des révoltes anti-fiscales des années précédentes. Taille et gabelle augmentent, en particulier sous Richelieu. Les dîmes sont rétablies et indexées sur les prix agricoles en hausse.

En effet la production agricole est repartie, mais petitement. C'est plus un rattrapage qu'une véritable croissance. C'est seulement en 1680 que l'on retrouvera les niveaux de 1560. L'Offre est donc inférieure à la Demande, d'où cette hausse des prix (en valeur réelle). En particulier la hausse des prix du vin incite les petits propriétaires, à proximité des villes, à convertir leurs rompudes céréalières en vignoble (Dugrand, 1964, p.207).

La structure foncière du 17e siècle a peu évolué par rapport au 16e siècle : l'exemple de Teyran (34) :


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(Bracq, 2005, p.17 à 21).

  • La répartition en grands, moyens, petits propriétaires conforte la tendance antérieure du 16e siècle.
Le compoix de 1664 nous permet de connaître les propriétés taillables.
En attente du tableau.
(Source : d'après C. Bracq, 2005, p.18).

Comme dans beaucoup de villages il existe un grand propriétaire-rentier, détenant ici, un peu plus de 70 hectares. Il s'agit du seigneur Philippe de Bocaud, (Blanchemain, 2005, p.173) également seigneur et propriétaire dans les paroisses voisines de Jacou et Clapiers.
Il loue son domaine de Teyran à bail de 6 ans, pour 500 livres annuelles « payable le 15 Août, ainsi que deux paires de poules, quatre de poulets, quatre douzaine d’œufs » (Bracq, 2005, p.17).
Il est président de la Cour des Aides, des Comptes et Finances de Montpellier, résidant en son hôtel particulier de cette ville.
Deux autres propriétaires sont des bourgeois de Montpellier, qui ont baillé à mi fruit.

On a donc ici, la confirmation de la propriété et de la rente urbaine sur ces villages proches des villes.
Par contre la majorité des moyennes propriétés (de 10 à 30 hectares, soit 5 propriétaires est exploitée en faire-valoir direct. Ils représentent la majorité de la surface taillable ( 60, 52 %).
Inversement la petite propriété (1 à 10 ha) et à fortiori la micro-propriété (< à 1 ha), représentant presque le quart de la surface (23,67 %) ne permettent pas de nourrir une famille. Qu'il s'agisse de propriétaires extérieurs à la paroisse (de Jacou principalement) ou de résidents, la plupart de ces terres sont louées à mi fruit. Les tenanciers résidents se placent, par ailleurs, comme valets de ferme, bergers, ou à la ville.

  • L'utilisation du sol reste typique de l'économie traditionnelle.
La surface totale de la paroisse est partagée entre le taillable (en gros la partie cultivable) 44,60 % du territoire et le « non taillable » (sachant qu'il n'y a pas de biens nobles, exclus de la taille) soit 55, 40 %. Ce « non taillable » est constitué, essentiellement, de patus, accessoirement du devois, chemins et cours d'eau. Les bois sont très limités, insuffisants pour les besoins des habitants. Il faut en acheter à l'extérieur.
L'élevage dispose donc de près de 500 hectares de garrigues, auxquels s'ajoutent, dans la partie taillable, 66,77 ha d'hermes, terres incultes, et 13,39 ha de prés, donc au total 580 ha 74, sans compter les jachères annuelles de l'assolement biennal, pâturées en hiver.

  • Au total, donc, la majorité de la surface de la paroisse est consacrée à l'élevage, principalement de « bêtes à laine », certainement stimulé par la Demande de la draperie montpelliéraine.
Tous les exploitants , grands et moyens disposent de bergerie.
Le fermier de M. de Bocaud en utilise 3 : deux aux « Trois Teyran » (au nord-est du village) pour 265 bêtes à laine, une à Monvilla (au sud-ouest du village). Il s'y ajoute des paillers et étables, certainement pour la paire de boeufs mentionnée dans les cabaux du bail).

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De même, les 5 moyennes propriétés (de 20 à 30 ha, disposent-elles, chacune d'une bergerie.
Au total donc, 8 bergeries sont attestées. Il s'y ajoute 5 bergeries de 3 exploitants des propriétés de 1 à 20 ha qui sont également éleveurs, soit un total de 13 bergeries (Bracq,2005, p.54).

  • Dans la partie cultivable les céréales dominent avec 64 % des terres taillables (279, 85 ha.)
Si le froment, céréale « noble » est attesté, les cultures portent également sur le seigle (le pain noir) et le méteil, mélange blé et de seigle ou encore de blé et de paumelle, l'orge de printemps, (signe d'une dégradation de la qualité de l'alimentation par rapport au « beau 16e siècle » (Le Roy Ladurie).

Les « bleds » restent fondamentaux et accaparent la majorité du foncier de plaines et bassins.

Il reste qu'il faut assurer la subsistance de base et affronter des crises de subsistances (en 1631, 1643, 1651, (Barry, 1962, p.439),
Les meilleures terres de plaines et bassins continuent d'être consacrées aux « bleds ».
Dans la vidourlenque, à Gallargues, les « bleds » bénéficient des terres alluvionnaires de la vallée tandis que les vignes sont « rejetées » dans les garrigues.
Même chose dans les Côtes du Rhône, à Roquemaure, Laudun, Codolet, Orsan, Chusclan, où les bleds occupent les fertiles vallées de la Cèze et de la Tave. Même chose dans les garrigues nîmoises et en Vaunage.

L'importance de l'élevage des « bêtes à laine » en garrigues.

  • Une activité attractive qui conforte l'agriculture.
Avec l'essor de la draperie, déjà entamée au 16e siècle, l'élevage des « bestes à laine » est une activité attractive dans laquelle des capitaux s'investissent.
L'abondance du cheptel conforte l'agriculture par la disponibilité de fumure, en particulier pour les cultures qui deviennent spéculatives : vignes et oliviers.
Aussi, la majorité des agriculteurs possède des ovins et des bergeries.

  • L'exemple des garrigues de Poussan (34) : contrats d'afferme et règlements de Communauté.
(Bousquet, 2008)
La Communauté détient un vaste territoire de 3000 hectares, partagé par moitié environ entre plaine et garrigues des collines de la Mourre à l'extrémité sud-est du Causse d'Aumelas.

Un acte de 1630 nous précise les conditions d'une exploitation d'élevage et du pâturage : 2 particuliers (Mathurin Barrière et Jean Fornier) s'associent pour un troupeau de 332 bêtes, qui pâtureront dans les garrigues communales (contrat d'afferme). Le troupeau sera gardé par un berger. Les 2 sociétaires fourniront les jasses. Le fumier servira à leurs vignes. Ils sont donc aussi, agriculteurs et l'on note, ici, que la vigne est fumée.

En 1675, un règlement de la Communauté limite l'ensemble des propriétaires à 5270 bêtes à laine.
En 1688 un état de la dîme dénombre 4200 bêtes à laine tondues. 25% relèvent de la seigneurie de Poussan, et de 11 autres propriétaires. Par ailleurs 285 chèvres relèvent de 6 propriétaires.

Le développement, voire  « l'explosion » des vignobles péri-urbains, en particulier en nouveaux défrichements de garrigues au 17e siècle.

(Teisseyre-Sallmann, 2003, p.147)
Jusqu'en 1655 le vin bénéficie d'une conjoncture de prix élevés favorables .

  • Les « vignes urbaines » des garrigues de Nîmes.
Les vignes sont attestées par l'enquête de 1677 des commissaires chargés les étendues et limites des garrigues nîmoises. Les procès verbaux mentionnent : «  chemin d'Uzès, la vigne et la terre de Jean Olivier, teinturier, ...la vigne de Marguerite, la poissonnière... » (Martin, 2011, p.121-122 citant les Archives Communales de Nîmes M M 11).

  • L'essor du foncier viticole en garrigues de la Vaunage nîmoise.
En Vaunage, proche de Nîmes, à Langlade, Congéniès, Boissières, le vignoble « explose » sur les nouveaux défrichements de garrigues.
A Langlade, en 1652, 132 hectares lui sont maintenant consacrés (contre 2 ha en 1597). En garrigues le vignoble a supplanté les champs labourés : à peine 11 ha. C'est un vignoble de micro-parcellaire (285 parcelles soit une moyenne de 0,45 hectares), de micro-propriété, avec des rendements faibles (0,25 hectolitre par ha, contre 100 en plaine), mais d'une qualité bien plus appréciée et déjà réputée.

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17e siècle. Langlade, Vaunage nîmoise. L'explosion du vignoble de garrigue sur des défrichements (au sud est de la paroisse). Comparaison des compoix de 1597 et 1652. (Source : Barry, 1962).

De même, dans le village voisin de Congéniès, le vignoble a-t-il cru de manière spectaculaire. De 1594 à 1659 le vignoble de garrigue passe de 0,4 ha à 33 ha, s'ajoutant aux 66 ha du vignoble - resté stable - de plaine.

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17e siècle. Congéniès en Vaunage nîmoise. Extension du vignoble de défrichements de garrigues, pariculièrement dans la partie nord de la paroisse (Puech de la Ninarde, Puech des Frigoules), et, au sud, sur le Puech de Villeneuve. (Sources : Barry, 1962 et IGN géoportail, 2012).

A Boissières, entre 1577 et 1682, le vignoble s'est répandu en garrigue, délaissant même la plaine, devenue exclusivement céréalière en 1682. (Barry, 1962, p.438).

  • L'essor du foncier viticole dans le Montpelliérais.
A Teyran, au nord proche de Montpellier,en 1664, les vignes occupent une surface absolue assez importante avec 37,04 hectares, gagnée, essentiellement, par défrichements en garrigues. Il s'agit là d'une culture de rapport certainement non négligeable à laquelle on consacre beaucoup de soins: le contrat de bail du fermier de M. de Bocaud recommande de fumer les vignes toutes les années, de labourer et chausser les souches, de pratiquer les provignages nécessaires (Bracq, 2005, p.17).

Dans la montagne de la Gardiole on fait appel à l'immigration pour défricher et « mettre en vigne des plantiers » (Vidal, 1993, p.245).

A Gigean, Murviel les Montpellier, Saint Georges d'Orques la vigne couvre déjà 20 % du territoire.
Sans fumure et avec deux labours, elle produit 20 hectolitres /hectare.

En 1647, à Poussan, le compoix dénombre plus de 260 terres défrichées depuis 100 ans, la plupart plantées en vignes. Leur localisation concerne les puechs émergeant de la plaine, tel le lieu dit « la bataille »  à l'est du village où Françoise Fabresse va payer 4 deniers et un cochon, la descente du puech des Parets, au nord du village, où Jean Alla va payer deux sols et deux journées à travailler. Mais ces défrichements concernent aussi les premières pentes du causse, comme au « Caitivels », au sud-ouest du village, où Samuel Gervais paye dix sols et une perdrix. Enfin ces défrichements peuvent concerner le plateau lui même, comme au lieu dit « la Roumège », à l'extrémité sud du terroir, où la femme de Fulcrand Rougé paye un poulet et un agneau (Bousquet, 2008, p.7).

Au travers de ces exemples apparaît une véritable « révolution viticole » des garrigues, des plateaux et pentes, en en faisant le lieu d'une économie spéculative (Dugrand, 1963).
L'essentiel du marché se situe dans les villes locales et régionales où la population et la consommation unitaire de vin s'accroit.

  • L'émergence de vins de qualité  et les premières « appellations » de terroirs: Côtes du Rhône, Montpelliérais
Quelques terroirs de garrigues s'orientent vers une production de qualité, tranchant sur les vins ordinaires de plaine.
La production n'est plus destinée à la consommation courante locale, mais à l'exportation vers la Bourgogne, Paris, l'Europe du nord.

Les Côtes du Rhône.
C'est le cas des Côtes du Rhône où des règlements sont établis pour protéger la qualité, en 1646 à Roquemaure, en 1666 à Chusclan, en 1693 à Saint Geniès de Comolas. En 1697 l'intendant Basville ajoute à cette liste de vins réputés Laudun et Tavel (Pelaquier, 2003, p.65).

Dans le Montpelliérais.
Seuls quelques terroirs pratiquent l'exportation vers l'Europe du nord, Hollande, Angleterre ou Russie, tel Saint Georges d'Orques qui défend sa renommée par des certificats (Vidal, 1993, p.255-256).

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Source : ADH C 5448 cité par Vidal, 1993,p.256

Le décollage de l'économie oléicole.

A Teyran, en 1664, la surface consacrée aux oliviers est relativement importante, avec 33,41 ha. Là également, le fermier de M.de Bocaud doit ameublir et fumer la terre tous les ans, arracher les mottes à ses frais et les placer aux endroits indiqués par les agents seigneuriaux. Les oliviers sont cultivés en vergers, mais, aussi, signe supplémentaire de l'intérêt de leur rapport, en bordures de parcelles, de chemins, en compagnie de figuiers, grenadiers et autres fruitiers (Bracq, 2005, p.18).
Le soin apporté aux oliviers, le contrôle par les agents seigneuriaux, les plantations hors verger témoignent de la hausse de la consommation d'huile d'olive, mais aussi du rapport de sa vente, depuis le décollage de l'économie oléicole au 16e siècle (analysée par Le Roy Ladurie, 1966, p.65 à 68).

« Le 17e siècle est le siècle du décollage caractéristique de la rente foncière »

(Le Roy Ladurie, 1969, p.251-254)

  • «  Après l'âge d'or des fermiers au 16e siècle, le 17e est leur « purgatoire ».
L'exemple du compoix de 1664 de Teyran nous montre que, au 17e siècle les fermages sont à mi fruit, alors que, au 16e siècle ils étaient à 20-25 %. Dans certains cas la rente foncière va même au delà de 50 %.
Les propriétaires peuvent imposer ces taux face au croît démographique maintenant sensible dans la deuxième moitié du siècle, et face au nombre de postulants pour les fermages.
La situation des fermiers s'est donc, de ce point de vue, dégradée.
Il faut y ajouter l'augmentation des charges : la hausse du salaire des ouvriers agricoles, la hausse des impôts, en particulier de la taille à partir de Richelieu et le rétablissement des dîmes, maintenant indexées sur la hausse des prix. Ces augmentations touchent également les propriétaires-exploitants.
Cette hausse des prix ne compense donc pas la hausse des fermages et charges.
Fermiers et exploitants directs voient donc leurs situations se dégrader.

  • Par contre la situation des (grands) propriétaires fonciers ayant affermé leurs domaines est nettement plus avantageuse.
Ils n'ont pas à payer les salaires, la gabelle, les redevances et usages seigneuriaux (certains d'entre eux étant, eux même seigneurs). Ils bénéficient parfois de « terres nobles » (non soumises à la taille). Les prix agricoles sont en hausse. Ils ont pu accumuler des capitaux venant de la Terre, ou, par ailleurs, de la Robe, des activités marchandes, de l'usure, des offices. (Le Roy Ladurie, 1969, p.251-254).

  • Dans certains cas la fortune des offices peut se conjuguer à la fortune terrienne.
C'est le cas, à Teyran, Jacou et Clapiers des Bocaud , conseillers voire présidents à la Cour des Aides, des Comptes et des Finances de Montpellier (Blanchemain, 2005).
L'office peut être à l'origine de la propriété terrienne et, succédemment, de la rente foncière. Ainsi le fils du viguier de Gignac, Jean de Ratte, peut-il acquérir par mariage avec Marguerite de Cambous, le très grand domaine du même nom (à Viols en Laval) et continuer à l'agrandir (Pioch, 2010).
A Nîmes le plus gros taillable (526 livres) est le juge-mage de la ville (Louis de Rochemore) avec 100 hectares de terres, surtout labourables, réparties en 53 parcelles (Grava, 2006, p.142).
Mais cette période porte en elle les germes de la crise de 1680 à 1720.


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